De
la fenêtre un homme regarde le monde. C’est toujours
comme ça que cela commence. Par cette attente interminable.
Un homme assis, et qui regarde. Depuis des années, des siècles
peut-être. Avant même la fenêtre et le corps immobile.
Il est comme un pur regarder qui chaque fois s’incarnerait
dans la singularité de chaque nouveau regard. Mais, en même
temps, ce qu’il voit ne l’atteint pas. C’est comme
si les aubes et les crépuscules, les saisons lentes ou rapides,
la nature les choses et les hommes glissaient sur la vitre, l’abandonnaient
à son immobile solitude. Alors, quittant le fascinant spectacle,
ses yeux reviennent à la page où ses mains tracent
de temps à autre quelques lignes incertaines. A ce moment
il lui semble percevoir comme un accord soudain: celui de sa fragile
durée humaine et de l’instant absolu du monde. Avec,
dès que ses yeux se lèvent à nouveau, retrouvant
la vision perdue, le sentiment d’un irrémédiable
écart — d’une infime blessure. Un sentiment d’y
être et de n’y être pas. Serait-ce cela la beauté?
se demande-t-il. Et écrire, ce désir à chaque
fois de réparer l’imperceptible accroc? De recueillir
dans un léger tissage des paroles ces figures éparses
du devenir et les rendre un instant solidaires. De telle sorte que
recouvert, effacé par l’afflux de mots, le monde finirait
par venir y renaître, surgissant de ce mouvement même
qui d’abord l’a annulé et qui, maintenant, lui
offre cette vivacité dont jusque là il paraissait
privé. Oui, écrire ce serait d’abord cela: s’asseoir
pour voir se lever le monde dans le jour du langage. Et, d’une
voix presque muette — d’un souffle engendré par
les mots et qui les porte —, ne cesser de célébrer
cette beauté, répétant comme une prière
muette cette phrase si simple de Beckett : “Je regarde passer
le temps et c’est si beau”
Lumière des jours:
le blog de Jacques Ancet : http://jancet.blogg.org &
sa suite: jancet.canalblog.com
|